12 mars 2025
Par Amélie Cournoyer, rédactrice agréée
En Ontario, de nombreux bâtiments scolaires montrent une dégradation allant de légère à alarmante. Le gouvernement doit allouer les ressources financières nécessaires pour améliorer les milieux de travail du personnel et assurer des environnements d’apprentissage sains et sécuritaires pour les élèves.
En décembre dernier, le Bureau de la responsabilité financière de l’Ontario (BRF) a publié un rapport concernant l’état des bâtiments scolaires en Ontario, leurs capacités d’accueil et la budgétisation des immobilisations. Le rapport propose une estimation des coûts pour maintenir les bâtiments scolaires de la province en bon état de fonctionnement et compare ce montant avec le financement prévu dans le plan d’immobilisations du budget de l’Ontario 2024.
Le rapport nous apprend que 37 % des écoles ontariennes ne sont pas dans un bon état de fonctionnement. Dans le lot, près de 1 800 écoles nécessitent des réparations et une trentaine doit être carrément rasée. « Maintenir les biens en état de fonctionnement aide à maximiser les avantages de l’infrastructure publique et fait en sorte que ces biens fournissent les services attendus dans des conditions considérées comme acceptables, tant du point de vue de l’ingénierie que de la gestion des coûts », écrit le BRF dans son rapport.
Une idée répandue auprès des communautés scolaires de la province est que les écoles francophones sont, de façon générale, en pire état que les écoles anglophones. « On entend souvent que le système francophone a hérité de plusieurs vieux bâtiments scolaires du système anglophone. C’est vrai, mais ils n’étaient pas tous en mauvais état », précise Alexandre Beaudin, chargé de projets en développement de l’intelligence collective à l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO).
Celui qui a déjà travaillé au sein de la division responsable des immobilisations du ministère de l’Éducation rappelle qu’une grande partie du parc immobilier des systèmes d’éducation francophones est neuve ou assez récente, une bonne proportion des écoles ayant été construites dans les 27 dernières années. « Les conseils scolaires publics francophones n’existaient pas avant 1998 et ils ont plus que doublé leurs effectifs depuis leur création. Beaucoup de nouvelles écoles ont donc été construites pour répondre à la hausse de la clientèle. Même chose pour les conseils catholiques, qui ont connu une croissance rapide au cours de la même période », explique Alexandre Beaudin.
De ce fait, 32 % des bâtiments scolaires du système public francophone ne sont pas dans un bon état de fonctionnement, comparativement à 43 % pour son pendant anglophone. Du côté des systèmes catholiques, ce sont 26 % des écoles de langue française qui sont en mauvais état contre 27 % des écoles de langue anglaise.
Il reste que c’est le tiers des écoles francophones qui ont besoin de réparations et de rénovations importantes.
Fissures dans les murs et les fondations; infiltrations d’eau; systèmes électriques, de chauffage et de ventilation défaillants; forte concentration de radon dans l’air; plomb dans l’eau potable; présence de moisissures ou d’amiante; peinture qui écaille ou plâtre qui s’effrite sur les murs; tuiles de plafond endommagées ou manquantes; toit en béton cellulaire autoclavé armé (le fameux BCAA qui a fait fermer le Centre des sciences de l’Ontario l’été dernier)… La dégradation de certaines écoles en Ontario est alarmante.
Plusieurs facteurs sont en cause :
La détérioration des bâtiments scolaires n’est pas sans répercussions sur le bien-être des élèves ainsi que du personnel. Le rapport américain du Council of the Great City Schools (CGCS) intitulé Reversing the Cycle of Deterioration in the Nation’s Public School Buildings et le fascicule Aménager des écoles favorables à la santé et au bien-être publié par l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) et le Centre de référence sur l’environnement bâti et la santé (CREBS) en répertorient plusieurs.
Chez les élèves :
Chez le personnel enseignant :
Le fascicule de l’INSPQ et du CREBS évoque également les nombreux risques pour la santé que peut représenter la fréquentation d’une école en mauvais état, notamment ceux-ci :
Pour ramener tous les bâtiments scolaires de la province dans un bon état de fonctionnement, le BRF soutient que le gouvernement doit investir 21,7 milliards de dollars sur 10 ans. En effet, le coût actuel (appelé déficit infrastructurel dans le rapport) s’élève à 6,5 milliards de dollars. Et un investissement supplémentaire évalué à 15,2 milliards de dollars sera nécessaire dans les 10 prochaines années, puisque les bâtiments continueront de vieillir et de se détériorer.
C’est sans compter les 9,8 milliards de dollars qui devront être investis sur 10 ans afin d’aménager l’équivalent de 227 nouvelles écoles qui allégeront les pressions permanentes sur la capacité (soit pour accueillir l’ensemble des élèves et répondre à la hausse de clientèle anticipée sans surutiliser les écoles ni avoir recours à des salles de classe portatives).
Or, dans son budget 2024, le gouvernement a prévu seulement 18,7 milliards de dollars sur 10 ans pour les bâtiments scolaires.
Si le gouvernement n’ajoute pas près de 13 milliards de dollars au financement prévu, le BRF estime que le nombre de bâtiments scolaires qui ne seront plus dans un bon état de fonctionnement passera de 37 à 75 % dans 10 ans. Et le déficit infrastructurel augmentera de 6,5 à 22 milliards de dollars d’ici 2033-2034.
Non seulement le financement des infrastructures est insuffisant, mais le gouvernement multiplie de plus les coupures et les compressions budgétaires en éducation, et ce, malgré les demandes pressantes pour un investissement massif dans les écoles publiques. Résultat : le financement scolaire rajusté à l’inflation a diminué de 1 500 $ par élève depuis l’arrivée de Ford au pouvoir en 2018, selon Ricardo Tranjan, économiste politique et chercheur principal au bureau ontarien du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA). Bref, l’Ontario dépense de moins en moins pour ses élèves.
« Ce gouvernement aime affirmer qu’il fait des investissements historiques en éducation publique, alors qu’en réalité, les élèves et les conseils scolaires sont assujettis à des coupures de financement à répétition », a d’ailleurs dénoncé la présidente de la Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (FEESO), Karen Littlewood, à la suite de l’annonce d’une importante coupure de financement en éducation en 2023.
« Quand le gouvernement dit qu’il fait des investissements historiques en éducation, ce n’est pas faux : les chiffres sont effectivement plus gros que les années précédentes. Mais le gouvernement joue avec les mots, puisque le montant investi chaque année n’augmente pas aussi vite que les coûts et les besoins réels », explique Alexandre Beaudin, en faisant référence au nombre d’élèves qui augmente dans l’ensemble du système d’éducation ontarien et à l’inflation qui se répercute sur le coût de tous les biens et services.
Confronté au même problème aux États-Unis, le CGCS explique bien le cercle vicieux du sous-financement des écoles publiques dans son rapport : « [C]onfrontés à des difficultés financières pendant de longues périodes, [les districts scolaires] prennent des décisions économiques qui réduisent les types de travaux de maintenance les plus rentables : la maintenance préventive et prédictive. Le résultat de ces décisions “pour économiser de l’argent” fera, à long terme, augmenter le nombre et la fréquence de réparations en cas de panne et de travaux de remplacement, qui sont, en fin de compte, beaucoup plus coûteux. »
Selon des études citées par le CGCS, chaque dollar destiné à l’entretien préventif des bâtiments non investi entraîne, à terme, une dépense de 4 $ pour réparer ou remplacer les éléments défectueux. « Les gouvernements sont élus tous les quatre ans, alors ils n’ont pas toujours une vision à long terme et c’est ce qui manque dans le dossier des bâtiments scolaires », pense Alexandre Beaudin.
L’AEFO croit qu’il est crucial que des investissements accrus soient réalisés dans l’entretien et l’agrandissement des infrastructures scolaires. « Le rapport du BRF dit tout : ce qui est budgété par le gouvernement n’est pas suffisant pour garder les écoles en bon état de fonctionnement et risque d’accentuer le problème de façon importante dans les 10 prochaines années. Les chiffres parlent, il faut les écouter », résume le cadre en relations de travail et professionnelles à l’AEFO, Philippe St-Amant.
De plus, l’AEFO met de l’avant l’importance de discuter de la qualité des espaces et des installations dans nos écoles francophones. « Si certains établissements ont la chance de bénéficier de nouveaux aménagements, beaucoup d’autres font face à des défis majeurs en matière d’espace insuffisant et de conditions inadaptées », poursuit-il.
L’association continuera donc de militer pour que le gouvernement alloue les ressources nécessaires afin d’améliorer les milieux de travail de ses membres et que des actions immédiates soient prises lorsque ceux-ci affectent la qualité de l’enseignement et de l’apprentissage. « Tous les élèves et tous les membres du personnel scolaire ont droit à une école saine, sécuritaire et bien entretenue », dit Philippe St-Amant.
« Nous comprenons pleinement les préoccupations de nos membres concernant le manque de locaux convenables et le maintien adéquat de certains édifices scolaires. Le bien-être et la sécurité de nos membres et des élèves sont au cœur de nos priorités », mentionne la présidente de l’AEFO.
Si vous constatez des problèmes en ce qui a trait à la dégradation du bâtiment scolaire où vous travaillez, n’hésitez pas à contacter votre présidence d’unité. Vous remplirez ensemble un formulaire destiné à l’AEFO.
En vue de cette discussion, notez vos observations et expériences, dont l’état général de vos installations (p. ex. : état des murs, des fenêtres, des portes) et toutes situations qui pourraient mettre en danger la sécurité des élèves ou du personnel (p. ex. : moisissures, fuite de gaz, exposition possible à l’amiante). Pensez aussi à expliquer comment votre milieu de travail affecte la qualité de votre enseignement et l’apprentissage des élèves.
« Les présidences d’unité sont responsables de transmettre ces informations à l’AEFO », souligne Philippe St-Amant, cadre en relations de travail et professionnelles à l’AEFO. Les données aideront l’association à porter votre voix dans les discussions liées à votre environnement de travail auprès du conseil scolaire ou du gouvernement. Elles permettront également à l’association de revendiquer des améliorations, lorsque c’est possible d’intervenir et que son mandat le permet, puis d’identifier des solutions concrètes et adaptées aux réalités des membres. « Ensemble, nous pouvons renforcer notre capacité à obtenir les changements nécessaires », affirme Gabrielle Lemieux, présidente de l’AEFO.