25 mars 2024
Par Amélie Cournoyer, rédactrice agréée
La privatisation est une solution de plus en plus souvent avancée par les entreprises et le gouvernement pour pallier les idées ou des perceptions de lacunes du système d’éducation financé par les fonds publics. Or, cette option représente une menace importante pour l’accès équitable à une éducation de qualité qui est gratuite et universelle pour l’ensemble des élèves, en particulier celles et ceux qui évoluent dans le système francophone en Ontario.
Depuis les 10 à 15 dernières années, la privatisation de l’éducation est une tendance à la hausse partout dans le monde, comme le rapporte la Campagne mondiale pour l’éducation (CME), un mouvement qui vise à faire avancer le droit à l’éducation sur la scène internationale. Dans de nombreux pays, une partie de plus en plus importante du système éducatif est détenue, gérée et financée par des intérêts privés. Et le Canada n’y fait pas exception.
« L’éducation est un droit fondamental de la personne. Pour demeurer gratuite, de qualité et accessible, elle doit être perçue par le gouvernement et la population comme un investissement prioritaire, elle doit également continuer d’être financée par l’État et reposer sur des décisions prises démocratiquement », rappelle Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO).
L’Internationale de l’Éducation (IE), une organisation syndicale mondiale dans le domaine de l’éducation, distingue deux types de privatisation :
Le Rapport sur la privatisation de l’éducation de la maternelle à la 12e année, au Canada, qui a été produit par la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE), recense plusieurs exemples de privatisation dans et de l’enseignement public en Ontario. En voici seulement quelques-uns :
À travers le monde, plusieurs groupes s’opposent farouchement à la privatisation et à la monétisation de l’éducation (p. ex. : parents, personnel enseignant, syndicats de l’enseignement, organisations de défense des droits humains). En 2015, par exemple, des rapporteuses et rapporteurs spéciaux des Nations Unies ont déclaré que « la privatisation nuit à l’éducation en tant que bien public ». L’année suivante, l’organisation internationale adoptait une résolution concernant l’importance de gérer « les impacts négatifs possibles de la commercialisation de l’éducation ».
Face à cette opposition, les adeptes d’une éducation payante et lucrative ont développé une stratégie qui a déjà été éprouvée dans d’autres pays, comme les États-Unis. La Fédération des enseignantes-enseignants des écoles secondaires de l’Ontario (OSSTF/FEESO) s’est d’ailleurs basée sur les travaux de l’American Federation of Teachers (AFT) afin de détailler la façon dont cette stratégie est appliquée en Ontario :
Lors d’une conférence offerte à l’Université de Toronto en 2011, l’intellectuel et activiste Noam Chomsky a très bien résumé cette stratégie : « C’est la technique standard de la privatisation : définancer le système, s’assurer qu’il ne fonctionne pas, mettre les gens en colère, puis le confier au capital privé. »
Laisser l’éducation à des intérêts privés n’est pas sans risque. Voici une liste de risques qui est inspirée du document Bien public contre profits privés réalisé par la CME :
« Les risques associés à la privatisation du système éducatif en Ontario sont bien réels. Ils se font d’autant plus préoccupants lorsqu’il s’agit du système francophone puisque nous ne connaissons pas encore les conséquences que ces réformes pourraient avoir sur l’attrait et la rétention des élèves et du personnel dans nos écoles pour lesquels nous nous battons encore », mentionne Anne Vinet-Roy, présidente de l’AEFO.
Dans un article de blogue de la FCE, la directrice exécutive Cassandra Hallett écrit que nous n’avons qu’à jeter un coup d’œil sur la Grande-Bretagne ou les États-Unis, des pays pourtant prospères, pour voir des systèmes d’éducation en déroute à cause de la privatisation. « Nous ne voulons pas, dans une dizaine d’années, regarder en arrière et nous demander : “Pourquoi n’avons-nous rien fait pour stopper la privatisation et la commercialisation du système d’éducation publique du Canada?” »
La FCE propose donc d’agir sur deux fronts : résister à la privatisation et à la commercialisation de l’éducation publique financée par l’État, puis nous attaquer aux faiblesses et aux lacunes du système public qui découlent de son sous-financement. « Cette double mission est essentielle. Les entreprises de services éducatifs continueront d’exploiter ces failles (réelles et perçues) à leur avantage, surtout là où les gouvernements facilitent en fait l’intervention du secteur privé en éducation », clame la fédération.
L’AEFO appuie cette déclaration. « Le système d’éducation public rencontre de nombreux problèmes depuis plusieurs années. Ce n’est pas avec les fausses promesses du privé que nous parviendrons à les surmonter, mais plutôt avec une volonté et un engagement de la part de notre gouvernement, soutenus par des investissements adéquats », conclut la présidente Anne Vinet-Roy.
Anne Vinet-Roy, présidente de l’AEFO
Appelé à se prononcer sur l’importance des systèmes d’éducation publics, le secrétaire général de la Commission canadienne pour l’UNESCO Yves-Gérard Méhou-Loko indique d’emblée que la construction de la paix dans le monde passe par l’éducation. « Le mandat de l’UNESCO à la base est d’élever la paix dans l’esprit des femmes et des hommes qui fondent nos sociétés, rapporte-t-il. Et c’est l’éducation le véritable moteur pour élever l’esprit des gens, pour les amener à comprendre les bienfaits de la paix, de la bienveillance et de l’empathie. Ces valeurs fondamentales sont les fondements même de l’UNESCO. »
Pour Yves-Gérard Méhou-Loko, la question de l’éducation publique devient importante dans la mesure où elle témoigne de l’implication des gouvernements dans cette mission de générer un climat de paix et de cohésion sociale au sein de leur société civile. « Elle démontre un engagement de leur part vis-à-vis de l’éducation des populations et des leaders de demain », ajoute-t-il.
Le secrétaire général de la Commission canadienne pour l’UNESCO rappelle que le droit à une éducation de qualité est déjà solidement ancré dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Il tient aussi à mentionner que l’Ontario est l’une des rares provinces au Canada à avoir mis en place une stratégie en matière d’équité et d’éducation inclusive pour tous ses conseils scolaires publics. Cela dit, il n’y a que les gouvernements qui peuvent appliquer ces politiques. « Le fait de financer l’éducation par les deniers publics et de la rendre accessible à toutes et à tous envoie un message fort : que l’éducation est un droit fondamental qui doit être respecté », martèle-t-il.
Yves-Gérard Méhou-Loko mentionne que l’Ontario connaît une forte immigration depuis plusieurs années et qu’il y a donc différentes identités qui composent son tissu social aujourd’hui. « Cette immigration nécessite la mise en place de structures qui vont favoriser une inclusion pleine et totale », précise-t-il. Et, selon lui, il n’y a que le système d’éducation public qui peut garantir l’accès à une éducation équitable pour l’ensemble des enfants. « Seul un système d’éducation financé par les deniers publics avec un engagement très marqué du gouvernement permettra d’éviter la marginalisation, l’exclusion de certains groupes », poursuit-il, faisant référence tantôt aux familles immigrantes, tantôt aux communautés franco-ontariennes. « Cela est primordial pour garantir une représentativité dans les curriculums, pour établir un équilibre social et, par le fait même, une cohésion sociale. »