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Pénurie de personnel enseignant francophone : une menace pour l’éducation franco – ontarienne

Pénurie de personnel enseignant francophone : une menace pour l’éducation franco – ontarienne

Par Amélie Cournoyer, rédactrice agréée

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En 2015, le gouvernement Ford décidait de réduire de moitié le nombre de diplômes décernés en enseignement chaque année ainsi que de prolonger le programme de formation d’un an. « Ces mesures ont été prises pour diminuer le surplus important de main-d’œuvre dans le système scolaire anglophone et aussi pour arrimer la durée du programme de formation avec les autres provinces canadiennes. Mais elles ne tenaient pas compte du relatif équilibre que nous avions, nous, dans le système francophone », explique Anne Vinet-Roy, présidente de l’Association des enseignantes et des enseignants franco-ontariens (AEFO). Elle ajoute : « Ces mesures ont aujourd’hui des conséquences importantes sur la pérennité de notre système d’éducation en langue française. »

Les facultés d’éducation certifient maintenant environ 500 nouvelles enseignantes et nouveaux enseignants annuellement, alors qu’il en faudrait un peu plus du double. « Les conseils scolaires réussissent à pourvoir les postes. Mais le problème se déplace vers la suppléance à court et à long termes. Nos listes de suppléance sont à peu près vides, ce qui fragilise énormément le système », précise Isabelle Girard, directrice générale de l’Association des conseils scolaires des écoles publiques de l’Ontario (ACÉPO).

En parallèle, les écoles de langue française en Ontario ont connu une hausse de leurs inscriptions d’environ 2 000 élèves par année entre 2015 et 2021, ce qui représente une augmentation totale de près de 13 %. « Cette importante hausse est entre autres due à l’augmentation de l’immigration francophone et de la population en général », indique Yves Lévesque, directeur général de l’Association franco-ontarienne des conseils scolaires catholiques (AFOCSC). Mais ce n’est pas tout. « Nous sommes victimes de notre succès. Les parents reconnaissent la qualité de notre enseignement et de nos milieux d’éducation », affirme Isabelle Girard.

Des problèmes de rétention de main-d’œuvre 

Les difficultés de rétention de la main-d’œuvre expliquent aussi la pénurie de personnel. Selon un rapport de l’Ordre des enseignantes et des enseignants de l’Ontario (OEEO) publié en 2021, 30 % des diplômées et diplômés des programmes de formation en langue française ne renouvellent pas leur certificat de qualification après cinq ans. « L’expérience éducative des élèves francophones est semblable à celle des élèves anglophones, mais cela a un prix : la charge de travail est beaucoup plus grande du côté francophone à cause du manque flagrant de ressources pédagogiques et professionnelles en français. Cette pression pourrait expliquer en partie qu’il y a plus de francophones qui quittent la profession », avance la présidente de l’AEFO.

Le personnel enseignant qualifié provenant d’autres provinces canadiennes ou de l’étranger ainsi que les enseignants et enseignantes à la retraite sont appelés en renfort. « Mais c’est seulement l’une des nombreuses actions qui doivent être posées si nous voulons surmonter le problème », soutient Isabelle Girard. « Les solutions devraient venir de chez nous », pense pour sa part Yves Lévesque, en évoquant entre autres le phénomène généralisé de pénurie de main-d’œuvre dans l’ensemble des provinces canadiennes. « On doit augmenter le nombre de candidates et de candidats à l’enseignement dans nos institutions universitaires », poursuit-il.

Une augmentation importante des permissions intérimaires

Résultat : le nombre de personnes non certifiées qui enseignent en vertu d’une permission intérimaire est passé d’environ 200 à plus de 700 entre 2017 et 2022. Et ce nombre pourrait atteindre 2 500 d’ici 2026. « La moitié des permissions intérimaires sont accordées à des conseils scolaires francophones, alors que le personnel du système d’éducation en langue française représente seulement 5 % des effectifs », souligne Anne Vinet-Roy.

Cet afflux de personnel non certifié affecte la qualité de l’enseignement. « Il y a des gens qui se retrouvent devant les élèves sans formation en pédagogie ni en gestion de classe. Connaître la matière et l’enseigner, c’est deux choses différentes, il y a des habiletés et des stratégies pédagogiques qui sont nécessaires », poursuit la présidente de l’AEFO. Yves Lévesque tient à ajouter : « Les élèves francophones continuent d’obtenir de meilleurs résultats que les élèves anglophones dans les examens de l’OQRE [Office de la qualité et de la responsabilité en éducation] mais, avec la pénurie d’enseignantes et d’enseignants et l’augmentation de la charge de travail, ça met tout notre système sous pression. »

Un rapport, 37 recommandations

Un groupe de travail sur la pénurie des enseignantes et des enseignants dans le système d’éducation en langue française de l’Ontario a été créé en 2019, regroupant l’AEFO, l’ACÉPO, l’AFOCSC et le ministère de l’Éducation de l’Ontario. Après une trentaine de rencontres en un peu plus d’un an, le groupe a soumis son rapport au ministre de l’Éducation, Stephen Lecce, en février 2021.

Le document contient 37 recommandations visant à réduire la pénurie, voire à l’enrayer. Les autrices et auteurs du rapport insistent notamment sur la nécessité d’arrimer la diplomation avec les besoins du système scolaire francophone, de favoriser l’insertion professionnelle et la rétention du nouveau personnel enseignant, de valoriser publiquement les professions en éducation et de promouvoir les opportunités d’emploi en éducation en français.

Un manque de volonté politique 

En mai 2023, l’AEFO, l’ACÉPO et l’AFOCSC ont uni leurs voix pour décrier publiquement l’inaction du gouvernement dans la mise en œuvre des recommandations, alors que des solutions concrètes lui avaient été soumises plus de deux ans auparavant. « Le gouvernement a repris certains éléments pour développer sa propre stratégie [la Stratégie ontarienne de recrutement et de rétention du personnel enseignant de langue française 2021-2025], qui ne donne aucun résultat concret, parce que celui-ci n’est pas prêt à faire des investissements significatifs et qu’il semble croire que l’éducation de langue française et les programmes d’immersion ont les mêmes besoins », déplore Anne Vinet-Roy.

Le groupe de travail signale que ses recommandations phares ont été écartées, telles que la nécessité de former au moins 500 enseignantes et enseignants supplémentaires par année ainsi que d’offrir une aide financière pour favoriser le recrutement (pour les stages ou la formation du personnel) et couvrir les coûts additionnels engendrés par les programmes de formation à l’enseignement en français en contexte minoritaire. « Le gouvernement a les solutions, le budget et la collaboration de tous les partenaires nécessaires à la mise en œuvre des recommandations. Il ne manque que la volonté politique pour assurer des résultats concrets, rapides, structurants et permanents pour le système scolaire de langue française », ont conjointement déclaré les associations du groupe de travail par voie de communiqué.

Des pas dans la bonne direction

Au niveau fédéral, le nouveau Plan d’action pour les langues officielles 2023-2028 et l’injection d’un milliard de dollars supplémentaires pour les minorités francophones prévue au budget 2023 arrivent à point selon les trois associations francophones.

Le gouvernement provincial a lui aussi fait quelques avancées. Isabelle Girard salue notamment la nouvelle initiative consistant à réduire de moitié le nombre maximum de jours pour l’évaluation par l’OEEO des dossiers d’enseignantes et d’enseignants qualifiés provenant de l’étranger. De plus, en septembre dernier, le gouvernement Ford a annoncé l’ajout de 110 places dans le baccalauréat en éducation en français de l’Université d’Ottawa (70 places) et de l’Université de l’Ontario français (40 places). « C’est un pas dans la bonne direction, mais ce n’est pas suffisant », regrettent les porte-parole des trois associations.

La nécessité d’investir

Selon le groupe de travail, le gouvernement provincial doit rapidement investir dans le système d’éducation francophone. « On ne peut pas gérer le système d’éducation francophone comme le système anglophone, soutient Yves Lévesque. Le système est différent, il a des besoins différents, donc le financement doit être bonifié pour atteindre un niveau d’éducation équitable. »

Le groupe de travail soutient que les 45 millions de dollars non dépensés du montant total alloué à l’éducation dans le budget 2022-2023 de l’Ontario auraient pu servir à contrer la pénurie. « On continue de faire de fortes pressions sur le gouvernement pour qu’il réponde à ses obligations constitutionnelles d’offrir une éducation réellement équivalente à celle de la majorité anglophone. Présentement, ce droit est menacé », affirme Anne Vinet-Roy, en faisant référence à l’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés garantissant le droit à l’instruction dans la langue de la minorité.

Une question de survie pour les communautés francophones

Le groupe de travail tient à rappeler que la vitalité et la survie des communautés franco-ontariennes dépendent en grande partie de l’éducation dispensée aux jeunes francophones de la province.

« Le mandat des écoles de langue française est, oui, de former académiquement les élèves, mais elles ont aussi un mandat de construction identitaire, de développement d’un sentiment d’appartenance à notre langue et à notre culture. Si on veut créer une communauté franco-ontarienne riche pour le futur, il faut avoir des écoles qui vont être des pôles pour développer cette richesse communautaire », conclut la présidente de l’AEFO.

Pénurie de personnel enseignant francophone : une menace pour l’éducation franco – ontarienne

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