Par Amélie Cournoyer, rédactrice agréée
Les écoles canadiennes, notamment en Ontario, sont confrontées à une montée alarmante des cas de harcèlement et de violence. Cette situation urgente nécessite une intervention immédiate du gouvernement et des conseils scolaires. L’AEFO en fait un dossier prioritaire pour l’année en cours.
Au Canada, la violence dans nos écoles n’est pas un phénomène nouveau, mais elle s’est intensifiée de façon importante au cours de la dernière décennie en ce qui concerne la fréquence, mais aussi la gravité des gestes et des paroles.
Les résultats d’une récente étude de l’Université d’Ottawa intitulée In Harm’s Way: The Epidemic of Violence Against Education Sector Workers in Ontario suggèrent qu’au cours de l’année scolaire 2018-2019, jusqu’à 89 % du personnel en classe (en excluant le personnel enseignant) et du personnel de soutien ont été l’objet d’une menace, d’une tentative ou d’un acte de violence de la part d’une ou de plusieurs personnes et 95 % ont subi une forme de harcèlement. « Il s’agit de taux extraordinairement élevés, et parmi les plus élevés de tous les secteurs du marché du travail », commente le groupe de recherche à l’origine de l’étude.
Contrairement à la croyance populaire, la violence n’est pas seulement vécue dans les écoles secondaires; elle survient aussi fréquemment dans les écoles élémentaires et à la maternelle. Selon une étude datant de 2018 de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (CTF-FCE), plus de 90 % des actes violents dans les écoles sont commis par les élèves. À l’AEFO, beaucoup de membres rapportent vivre de la violence au quotidien. Et la majorité des cas signalés semblent perpétrés par des élèves de 3e année et moins.
Formes de violence
La violence qui a lieu dans les écoles peut prendre plusieurs formes. Elle peut être verbale ou psychologique (p. ex. : intimidation, insultes, attitudes ou gestes irrespectueux ou carrément obscènes). Et elle ne se limite pas aux heures de classe; de nombreux cas répertoriés ont lieu sur les réseaux sociaux, par exemple.
La violence physique est aussi présente au quotidien. Des enfants en crise, dès la maternelle, s’en prennent aux autres élèves, mais également au personnel éducateur. Des membres rapportent avoir reçu des coups de pied, de poing ou de tête, s’être fait pousser, mordre ou tirer les cheveux, entre autres. En résultent parfois des blessures physiques mineures ou plus sérieuses.
Conséquences sur la santé mentale
Sans surprise, la violence physique, psychologique et verbale dont les membres du personnel en éducation sont témoins ou victimes sur leur lieu de travail a des conséquences négatives importantes sur leur santé mentale et physique ainsi que sur leur rendement professionnel. Les études sur le sujet soutiennent que la violence fait vivre aux membres du personnel un niveau de stress élevé, des problèmes d’estime en leurs capacités professionnelles ainsi que divers problèmes de santé mentale, tels que de l’anxiété, des symptômes dépressifs et de l’épuisement professionnel (burnout).
Signe que la violence est loin d’être anodine : l’étude de l’Université d’Ottawa citée plus tôt rapporte que la proportion du personnel en éducation souffrant de symptômes de stress post-traumatique suivant leur pire épisode de harcèlement ou de violence équivaut aux symptômes mesurés chez les pompières et pompiers ainsi que chez les téléphonistes travaillant dans les centres d’appels d’urgence.
Les conséquences de la violence sur le personnel enseignant sont profondes et perdurent, souvent plusieurs mois après l’incident. Cela mène à une baisse du bien-être au travail, à une plus grande difficulté à atteindre les objectifs de travail, à un désengagement professionnel et à l’absentéisme.
Coût de la violence
La violence affecte le climat scolaire en créant un environnement de peur et d’insécurité qui peut nuire à l’apprentissage des élèves de même qu’à la collaboration entre les membres du personnel. Elle est d’ailleurs pointée comme l’un des facteurs de la difficile rétention du personnel.
Les incidents de violence augmentent par ailleurs le taux d’absentéisme parmi le personnel, qui peut avoir besoin de temps pour se rétablir. La violence en milieu scolaire a donc un prix : remplacer le personnel éducatif et de soutien pour le temps perdu en raison du harcèlement ou de la violence sur le lieu de travail coûterait à l’Ontario au moins 3,5 millions de dollars par année selon l’étude de l’Université d’Ottawa.
Cette estimation demeure conservatrice puisque la plupart des incidents de harcèlement ou de violence ne sont pas déclarés. En effet, toujours selon la même étude, près de la moitié du personnel éducateur n’a pas rapporté le pire incident de violence dans l’année précédant la tenue du sondage. Alors que dire des incidents mineurs?
Normalisation de la violence
Les personnes qui ont répondu au sondage mené par l’Université d’Ottawa ont mentionné plusieurs raisons de ne pas avoir rapporté les comportements violents : parce qu’elles jugeaient l’incident trop mineur, qu’elles croyaient pouvoir gérer la situation par elles-mêmes, par manque de temps, parce qu’elles étaient embarrassées par l’événement ou qu’elles ne voulaient pas que leur administration soit au courant. En ce sens, il est parfois nécessaire de persuader certains membres de l’AEFO de rapporter des incidents, même les plus petits, puisque c’est un processus fastidieux et qu’elles et ils manquent de temps pour le faire. Mais ces incidents doivent être déclarés pour obtenir du soutien de la part de la direction.
Certaines administrations montrent un grand soutien au personnel victime de violence, par exemple en effectuant un suivi psychologique auprès de l’employée ou de l’employé et en l’aidant à documenter ou à signaler l’événement. Les personnes participant à l’étude ont toutefois spécifié que l’inaction, les blâmes et même les représailles sont choses fréquentes lors des signalements.
« Près de 70 % des personnes répondantes ont indiqué qu’elles avaient mentionné l’incident à l’administration ou à une superviseure ou un superviseur, mais qu’elles s’étaient senties “rejetées”, que le comportement [violent] avait été ignoré ou qu’il y avait eu un manque de conséquences sérieuses », peut-on lire dans le rapport. Voici quelques exemples : une personne s’est fait demander ce qu’elle avait fait pour provoquer l’élève, une autre a été questionnée sur ce qu’elle aurait pu faire différemment pour éviter l’incident et une autre encore s’est fait dire que c’était sa faute si elle s’était fait attaquer.
Il faut dire que la violence dans les écoles a malheureusement été normalisée. Certaines administrations vont même considérer que celle-ci « fait partie de la job ». Cela crée un contexte dans lequel les préjudices subis sont minimisés ou niés. « Normaliser la violence, quelle qu’en soit la forme, est inacceptable », souligne Gabrielle Lemieux, présidente de l’AEFO.
Pistes d’action
Trop d’élèves par classe, intégration d’élèves avec des troubles d’apprentissage graves ou des troubles de comportement importants, manque de personnel de soutien éducatif et de personnel professionnel… La violence dans les écoles est le résultat d’un sous-financement chronique du système d’éducation. « Pour contrer cette épidémie de violence, il est crucial de réévaluer et d’augmenter le financement du système éducatif afin de mieux répondre aux besoins des élèves et de soutenir le personnel enseignant », commente Gabrielle Lemieux.
Une des solutions pour assurer des milieux de travail où le personnel et les élèves se sentiront en sécurité? Mieux répondre aux besoins des jeunes. Des changements drastiques dans le système d’éducation sont donc demandés en ce sens pour stopper la violence dans les écoles. Parmi ceux-ci :
- Offrir des ressources adéquates pour l’ensemble des élèves. « Il y a un manque criant de ressources pour les élèves en difficulté et leur famille. Alors, c’est souvent le personnel enseignant qui se retrouve à devoir gérer seul ces cas », soutient Gabrielle Lemieux. Les écoles ont donc besoin de davantage de services professionnels (p. ex. : psychologie, pédopsychiatrie, travail social, éducation spécialisée) et de personnel de soutien, de classes moins nombreuses pour faciliter les interventions individuelles et de plus de classes spécialisées.
- Mieux soutenir le personnel enseignant en fournissant des ressources adéquates pour l’ensemble des élèves, mais aussi en proposant un soutien psychologique à celles et ceux dont la santé mentale est affectée à cause de la violence.
- Offrir de la formation continue au personnel pour qu’il développe les compétences afin de mieux gérer le harcèlement et la violence sur le lieu de travail, réagir aux situations de violence et venir en aide aux collègues qui en sont victimes. Des formations en intervention non violente en situation de crise, puis pour aider les élèves à mieux gérer leurs frustrations et leur colère ainsi que leurs relations interpersonnelles pourraient également être pertinentes. De plus, des cours universitaires sur la gestion de la violence en milieu de travail devraient être donnés aux futures enseignantes et aux futurs enseignants.
- Instaurer un protocole d’intervention en situation de violence dans chaque école pour permettre à chaque membre du personnel de savoir comment intervenir en cas de crise. « À l’heure actuelle, le personnel se sent un peu démuni lorsqu’une situation de violence survient. Certaines personnes vivent de l’incertitude et de la frustration, surtout lorsque les attentes sont floues ou que le soutien nécessaire pour résoudre le problème n’est pas offert par l’employeur », rapporte Gabrielle Lemieux.
- Faciliter le signalement des incidents pour le personnel. La Loi sur la santé et la sécurité au travail de l’Ontario oblige l’employeur à avoir une politique qui établit une procédure de signalement lorsqu’il y a un acte violent. Or, un manque de communication persiste à ce sujet puisque les membres du personnel ont souvent de la difficulté à trouver le formulaire de signalement, qu’elles et ils ne savent pas comment faire leur signalement ou ne connaissent pas le processus ni leurs droits suivant leur signalement.
Contrer la violence dans les milieux scolaires, une priorité pour l’AEFO
Ces dernières années, l’AEFO a mené plusieurs campagnes de sensibilisation et de formation auprès de ses membres au sujet de la violence dans les milieux de travail, en plus de mettre de la pression sur les instances gouvernementales et les conseils scolaires afin que ce dossier devienne un enjeu prioritaire.
L’AEFO a aussi participé au Groupe de travail provincial sur la santé et la sécurité pour faire de la prévention de la violence au travail une priorité. Un sous-comité de ce groupe de travail a élaboré le guide Violence au travail dans les conseils scolaires – Un guide de la loi afin d’aider les gens dans les lieux de travail à mieux comprendre les exigences de la Loi sur la santé et la sécurité au travail. « Le gouvernement a partagé cette ressource avec tous les conseils scolaires. Mais pourquoi les suggestions n’ont-elles pas été mises en œuvre? », questionne la présidente de l’AEFO.
Au sein de l’association, les présidences d’unités locales ont suggéré que ce dossier soit prioritaire, sinon la priorité pour cette année au niveau provincial. Celles-ci croient que les efforts de l’AEFO doivent être maintenus puisqu’on remarque une recrudescence des cas de violence depuis la pandémie de COVID-19. Tout cela a mené le conseil d’administration de l’AEFO à voter, le printemps dernier, une résolution pour la création d’un comité ad hoc sur la violence. Ce comité, actuellement en formation, devrait se rencontrer bientôt pour la première fois. Il aura pour mandat de proposer un plan d’action provincial afin de réduire l’incidence de la violence en milieu de travail.
L’AEFO a également créé un nouveau poste en relations de travail et professionnelles, qui a été confié à Philippe St-Amant. Ce dernier a notamment comme responsabilité de se pencher sur le dossier de la santé et la sécurité au travail, en mettant dès le départ une lentille sur la violence dans les milieux de travail.
Pour Gabrielle Lemieux, c’est la concertation du personnel et des membres de l’AEFO qui permettra de créer des milieux de travail sains, sécuritaires et bienveillants pour tout le monde. « L’AEFO mise énormément sur la collaboration professionnelle de toutes les parties prenantes pour résoudre ce problème aussi fondamental. On doit y faire face de manière collective », conclut-elle.